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Note d'intention, par Modeste Abraham Sallah

Je suis un artiste africain originaire du Togo, et je vis en France depuis mon enfance.

 

Au décès de mon père, je me suis rendu au Togo pour assister à ses obsèques. Mon oncle m'a alors emmené à Ouidah, au Bénin, pour y visiter "La porte du non retour", l'un des principaux points d'embarquement d'esclaves vers les Amériques. Mon implication dans l'étude et la transmission de cette histoire date de ce jour, où j'ai été frappé par la force qui se dégageait de ce lieu de mémoire. Souhaitant alors participer activement à la première commémoration officielle de l'abolition de l'esclavage en France, - 5 ans après le vote de la loi Taubira de 2001 - j'ai écrit la chanson intitulée "Africaphonie", point de départ de cette aventure.

 

De cette chanson est né un festival de musique éponyme en 2007, qui réunit des artistes de tous horizons, dont Richard Bohringer, Dédé Saint-Prix, Bill Akua Betote, ou encore Gérald Toto. Conforté par l'enthousiasme que générait ma démarche, j'ai entrepris la réalisation d'un premier film en 2008, "10 Mai Africaphonie". Des personnalités artistiques, politiques, et sportives, parmi lesquelles Lilian Thuram, Jimmy Cliff, Amadou et Mariam, Jacques Chirac ou encore Christiane Taubira purent s’y exprimer sur la date du 10 mai et expliquer ce que représente ce mouvement pour les nouvelles générations. Un second film en 2011, "Africaphonie Héritage", m'a permis d'aller plus loin encore dans mon désir de partager cette histoire avec le plus grand nombre.

 

"Africaphonie 3 : Héritages partagés" sera donc le troisième volet d'une série documentaire que je consacre à l'histoire de la traite négrière, de l'esclavage, et de leurs abolitions.

Il y a deux raisons fondamentales à mon engagement dans ce projet : la première est que connaître la période tragique de la traite négrière me semble essentiel à la compréhension du monde actuel et de ses équilibres (racismes et discriminations, diasporas noires et métissages…). La seconde est que malgré les abolitions qui ont eu lieu à travers le monde, l'esclavage persiste de nos jours, sous de trop nombreuses formes (travail forcé, vente d’enfants, prostitution…).
 

La connaissance et le partage de cette histoire à large échelle me paraissent être les meilleurs moyens de lutter contre cet affront fait à l'humanité.

 

Aujourd'hui, les discriminations augmentent, les clivages s'accentuent, notre "vivre ensemble" s'effrite peu à peu. Le vote extrémiste progresse, et le racisme, qu'il soit fait de peur ou de mépris, ronge nos sociétés. Tout cela nous cause un lourd préjudice, qui pèse sur les nouvelles générations. C'est pour cela que je souhaite partager, diffuser cette histoire dans le plus grand nombre d'esprits possible, afin qu'atteints par la répulsion et l'effroi qu'elle provoque, nous nous préservions des comportements xénophobes qui minent notre humanité, et prennent leurs sources dans ces événements. Cette période, comme d'autres, nous définit, nous explique, nous renvoie à nous-mêmes. Nous devons donc la connaître pour aller de l'avant.

 

Animé par ces convictions, j'ai mené depuis 2011 une initiative avec Akwaaba productions :

"Le tour de France de la mémoire". Il s'agit d'un projet pédagogique visant à transmettre l’histoire de l’esclavage aux élèves de collèges et lycées, par le biais de projection des films "Africaphonie" et de débats.

 

C'est au cours de ces rencontres que j'ai entrevu le point d'origine du prochain film que je souhaite réaliser, et son fil conducteur.

 

Francis Pinot, principal du collège Victor Schœlcher de Champagney en Haute-Saône m'a fait découvrir l'une des plus anciennes sources de pensée abolitionniste en France, populaire qui plus est : en 1789, avant la Révolution française, les Champagnerots inscrivirent à l'article 29 de leur cahier de doléances la douleur que leur causait l'existence de l'esclavage et leur volonté de considérer les Noirs comme leurs semblables.

 

Cet héritage fait de Champagney et sa région un creuset précurseur du mouvement abolitionniste, toujours actif dans la lutte contre l'injustice et l'intolérance. Le village est le siège de l'association "La Route des Abolitions" depuis 2004.

 

Fort de ce passé local et investi des mêmes sentiments que ses ancêtres, le principal Francis Pinot et le professeur d'Histoire Paul Lo Papa m'ont proposé de participer à leur projet d'envoyer une délégation d’élèves et de représentants officiels à Washington et Charlottesville, "De Schoelcher à Lincoln", pour marcher dans les pas des abolitionnistes et découvrir la réalité concrète des vicissitudes de la cause noire en Amérique.

 

L’objectif principal de ce projet : la formation de citoyens ouverts aux autres et capables de transmettre à leurs pairs un passé, mais aussi une mise en lumière des préoccupations actuelles de notre société, est en adéquation avec le thème principal des films "Africaphonie".

 

J'ai donc immédiatement accepté son offre, et décidé que ce voyage servirait de fil conducteur à mon film. Il me permettra d'enquêter sur la manière qu'a la jeune génération d'appréhender cette histoire, cet héritage, et la façon dont elle modifie leur vision du monde qui les entoure.

 

Je conçois ce film comme un voyage initiatique, où le spectateur serait, comme les jeunes de Champagney, convié à découvrir le monde sous un éclairage nouveau, à la lueur d'un passé douloureux et refoulé au long des siècles qui nous en séparent.

 

Deux versions seront montées : une de 90 minutes, destinée au cinéma, et une autre de 52 minutes, plus resserrée, prévue pour la télévision et qui pourra également servir de support pédagogique pour les élèves de collèges et de lycées.

Abolitions de l'esclavage : routes et héritage

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